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La littérature romaine avant l'avènement de l'empire

Dans un précédent billet j’ai montré que malgré la résistance de quelques « anciens », notamment Caton, l’esprit romain s’était laissé gagner par l’influence de la Grèce, un peu comme aujourd'hui en France avec l’influence américaine. Et au temps de Cicéron (106-43 av. J.C.), le phénomène favorisé par des causes politiques devient prédominant, au point que le grand homme finit par s’écrier : «  l’hellénisme coule à plein bords ». Il est vrai que le contexte de l’époque s’y prêtait, dans la mesure où Rome ayant achevé la conquête du monde méditerranéen, elle n’avait plus d’ennemis qu’elle put craindre.  Elle pouvait donc se laisser aller, sans crainte de perdre son âme, à prendre chez d’autres ce qu’ils avaient de meilleur, en l’occurrence aux Grecs leur culture.

Evidemment, l’esprit patriotique à la Caton en souffrit, tellement que Montesquieu avait écrit beaucoup plus tard : « Les peuples d’Italie étant devenus citoyens de Rome, chaque ville y apporta son génie…et les sentiments romains ne furent plus ». Et de fait, la tradition nationale n’opposait plus d’obstacles à l’invasion des arts et des mœurs de la Grèce. En outre, grâce aux conquêtes réalisées l’argent coule à flot pour Rome, mais naturellement cette manne ne profite qu’à  une minorité de gros propriétaires, alors que dans le même temps la classe moyenne disparaît pour rejoindre les rangs des plus pauvres. Rome à cette époque était une république où se côtoyaient la richesse la plus insolente et la misère la plus affreuse. Cela dit, vingt siècles plus tard, les choses n'ont pas vraiment changé!

Mais que faisaient les riches de tout cet argent ? Et bien ils en profitaient soit en faisant de la politique, soit en s’offrant les loisirs les plus élégants et la culture la plus raffinée, donc grecque. Les Grecs sont tellement omniprésents qu’ils dirigent toutes les écoles publiques. Mais ils sont aussi précepteurs des enfants de l’aristocratie, ce qui ne peut que conforter leur influence au plus haut niveau de la société. Les études grecques, rhétorique, philosophie, géométrie, musique, s’ajoutent et supplantent  naturellement  les arts romains, la seule résistance à cette « invasion » se situant au niveau de l’agriculture et de la jurisprudence. Tout cela suffit à expliquer pourquoi les jeunes Romains, fils de bonne famille, vont toujours terminer leur éducation à Athènes.

Ces lettrés, même s’ils n’étaient pas les plus nombreux, composaient un public tout près à accueillir les œuvres de l’école d’Alexandrie, que les Hellènes émigrés apportaient avec eux. Cette poésie érudite, mondaine, ne pouvait que plaire à ces nouveaux parvenus de l’argent et de l’esprit, d’autant que l’école d’Alexandrie correspondait parfaitement aux canons romains de l’époque, les érudits n’étant pas assez artistes pour apprécier pleinement  la perfection sévère et la haute simplicité des chefs d’œuvre de la grande époque grecque. Cela étant, cette main mise de la culture grecque eut pour principal effet de faire disparaître les genres populaires.

Les poèmes épiques, à la façon des Annales d’Ennius, sont remplacés par des récits mythologiques où les Helvius Cinna, Varron d’Attax s’approprient les procédés de Callimaque et Apollonius. La tragédie et la comédie sont en voie de disparition à l’exception des pièces de Plaute, Térence et Attius. En fait ceux qui composent des pièces de théâtre à cette époque n’écrivent plus que pour la plèbe, ne traitant que l’atellane comme Pomponius et Novius, ou le mime comme Laberius et Publilius Syrus. Cela ne signifie pas pour autant que ces gens ne soient pas talentueux, mais s’ils veulent survivre, ils doivent faire des concessions à la vulgarité, voire même à la grossièreté, indignes  de leur talent.  En somme à cette période, la poésie est plutôt pauvre, à la notable exception des œuvres de Lucrèce et Catulle.

En revanche la prose atteint tout son éclat avec des gens comme Cicéron, César, Salluste. Orateurs, philosophes, historiens, ces hommes sont aussi des politiques très engagés dans les luttes qui divisent l’Etat. Ils combattent ou préparent la révolution qui va substituer l’empire à la république, ce qui explique que pressés par d’autres préoccupations, le souci de la forme passe plutôt au second plan.  Ils possèdent certes la culture grecque, mais l’accommodent à leurs desseins nationaux. Cela ne les empêchera pas de faire ressortir leur génie et d’appartenir au cercle des grands écrivains.

Michel Escatafal

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