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  • La vie d'Agrippa d'Aubigné est un roman à elle seule

    Agrippa d'Aubigné.jpgThéodore-Agrippa d’Aubigné est né le 8 février 1552 près de Pons en Saintonge, au château de Saint-Maury, dans des circonstances dramatiques, sa mère étant décédée en lui donnant le jour. Ensuite, tout au long de sa vie qui fut un roman à elle seule, il prit successivement en main la plume et l’épée, et devint l’un des chefs les plus ardents du parti protestant. Il fut  tour à tour mêlé aux combats, aux fêtes de cour, aux intrigues politiques, aux discussions théologiques, soldat, écrivain et poète baroque, historien, pamphlétaire, controversiste, courtisan heureux du moins jusqu’à la conversion d’Henri IV, ami fidèle, conseiller fâcheux, tantôt en faveur, tantôt forcé de quitter la cour, puis la France, succombant sous le poids des malheurs domestiques après avoir déploré les malheurs de l’Etat. Bref, il joua bien des rôles divers et mena une vie fort agitée jusqu’à sa mort en 1630 à Genève, ville où il s’était exilé suite à un soulèvement avorté contre le duc de Luynes, favori de Louis XIII .

    Par ses poésies de jeunesse, galantes et maniérées pour la plupart, d’Aubigné ne se distingue guère des poètes de son temps, élevées à l’école de la Pléiade. Mais son Histoire Universelle, sa Vie à ses enfants, son roman du Baron de Foeneste, qui lui assurent une place parmi les prosateurs les plus intéressants du seizième siècle, sont des œuvres passionnées. Toutefois nulle ne l’est davantage qu’une certaine satire aux développements épiques qu’il intitule les Tragiques et qui est divisée en sept livres, Misères, Princes, Feux, Fers, Vengeances, Jugements et la Chambre dorée. A propos de celle-ci, il s’agit de la salle « de justice autrefois, d’or maintenant ornée »où la justice ne se rend pas, selon d’Aubigné, mais se vend.

    Cette œuvre, où les lamentations indignées et les appels à la vengeance divine se mêlent aux traits de satire les plus virulents, est diffuse et mal composée, gâtée souvent par la recherche et le mauvais goût, mais plus souvent encore animée par une éloquence enflammée, à laquelle on pardonne presque ses hyperboles déclamatoires en faveur de la sincérité du sentiment qui la soutient. Hélas, ce poème, entrepris en pleine bataille (1577), ne fut publié qu’en 1616, à une époque où la passion d’Aubigné et son art imparfait devaient apparaître comme des vieilleries. De là l’oubli presque complet dans lequel il tomba rapidement, et dont il ne s’est guère relevé qu’au dix-neuvième siècle.

    Parmi les anecdotes de sa vie, qui expliquent en grande partie son comportement à la fois ardent, passionné et outrancier, j’ai relevé le fait que son père lui montre alors qu’il n’a que huit ans les têtes des protestants suppliciés après l’échec de la Conjuration (1560) et lui fait prêter serment de les venger. Dans un tout autre ordre d’idées, c’est en s’installant sur les terres de sa mère, en Beauce, qu’il rencontre et tombe amoureux de Diane Salviati, nièce de la Cassandre chantée par Ronsard, qui l’inspirera pour composer des sonnets et des odes. Enfin comment ne pas évoquer la vie de son fils Constant, qui d’abord abjura le protestantisme en 1618, ce qui constitua un crève-cœur pour son père, puis assassina sa première épouse, avant de se remarier pour donner naissance à une certaine Françoise d’Aubigné, future marquise de Maintenon, maîtresse puis épouse de Louis XIV.

    Michel Escatafal

  • La poésie satirique à Rome

    lucilius.jpgLes Romains ont toujours prétendu que la satire faisait partie de leur identité nationale. D’abord le nom même de satire est purement latin, satura étant un adjectif qui, employé substantivement, signifie mélange.  C’est ainsi qu’on désigna dans un premier temps ces divertissements dramatiques composés de danse, de musique et de paroles qui sont à l’origine du théâtre romain. C’est Ennius qui après avoir publié un recueil où se trouvaient des pièces fort différentes par le sujet et le mètre lui donna, à cause de sa variété, le titre de Satires.  Ensuite le mot satire s’appliquera uniquement au genre de poésie que Lucilius, Horace (65-8 av. J.C) et Juvenal devaient illustrer à Rome. C’est à ce tire qu’on a pu dire et écrire que si l’esprit satirique est universel, c’est à Rome qu’il reçut pour la première fois la forme spéciale d’un poème où les attaques contre les personnes se mêlent, pour les soutenir et les éclairer, à l’exposition de vérités morales.

    La première figure emblématique de la poésie satirique fut Lucilius, lequel eut droit de la part d’Horace, pourtant peu porté à l’indulgence, à une grande considération. Ce dernier affirmant que Lucilius « avait peint toute sa vie dans ses ouvrages comme dans un tableau votif ». Hélas ces ouvrages sont perdus pour l’essentiel, et les fragments qui nous en restent sont trop rares et souvent trop obscurs pour nous instruire sur la biographie exacte du poète. Tout au plus nous savons qu’il est né à Suessa Aurunca, colonie latine, vers 180 avant notre ère, et qu’il mourut à Naples vers 102, obtenant des funérailles publiques.  

    Issu d’une grande famille, riche puisqu’il possédait une maison à Rome, évidemment spirituel, il vécut dans l’intimité de Scipion Emilien (185-129 av. J.C.) et de Lélius (185-111 av. J.C.) qui le traitaient d’égal à égal. En revanche, malgré son grand nom, il ne joua aucun rôle politique non pas par dédain comme le poète et philosophe Lucrèce (98-55) plus tard, mais parce qu’il souffrait d’une santé fragile. Celle-ci avait aigri son humeur au point de l’avoir rendu procédurier, ne tolérant pas qu’on s’attaquât à lui ou qu’on le critiquât alors qu’il ne ménageait personne. Néanmoins on ne retient de lui que son œuvre, très admirée de ses contemporains.

    L’ensemble des satires de Lucilius formait trente livres sur lesquels vingt et un sont écrits en hexamètres. Dans les autres le poète se sert de mètres très variés. On voit donc que l’hexamètre prédomine, et d’ailleurs Horace et ses successeurs n’employèrent plus d’autres vers. Mais quels sont les éléments les plus significatifs sur les opinions et les goûts du poète, ainsi que sur la société qu’il a voulu peindre en tenant compte, toutefois, de la rareté des documents qui nous sont restés? Disons que Lucilius était très romain,  mettant en exergue les fortes vertus de l’antique Rome, ce qui ne l’empêchait pas de se laisser charmer par la culture grecque, mais sans excès. Ceux qui n’admiraient que la rhétorique grecque furent évidemment l’objet des railleries du poète, mais il n’en voyait pas moins clair dans les vices nationaux, par exemple l’avarice, mais aussi la superstition.

    Il détestait aussi les parvenus à peine échappés de la pauvreté, qui se livraient à ce qu’on appelait alors les basses jouissances, entre autres la gloutonnerie, ce qui avait conduit Lucilius à écrire : «Vivez, gloutons ;  vivez, goinfres ; vivez, ventres» ! Il dénonçait ceux qui se couvraient de ridicule et les vices de certains de ses contemporains, allant jusqu’à leur donner des noms. Ainsi comme on parle aujourd’hui des Tartuffe, on évoquait Gallonius (le gourmand), Nomentanus, le dissipateur. Mais ce qui l’affligeait le plus c’était la perte totale des sentiments de solidarité et de probité civiques, que remplaçaient alors les intrigues de l’intérêt et de l’ambition.

    S’il se permettait de jouer le rôle de défenseur des bonnes mœurs et des honnêtes gens, de glorifier ceux-ci, c’est parce qu’il se savait indépendant en raison de sa haute situation et des protections dont il jouissait. Ensuite c’est aussi parce qu’il mettait au premier rang les intérêts de la patrie. Bref, Lucilius était un homme sincère, franc, et un remarquable observateur de la nature humaine. En revanche ses vers manquaient de style et sentaient l’improvisation hâtive. En disant cela on ne peut que penser à cette phrase d’Horace : « Il dictait deux cents vers au pied levé ». Le même Horace évoquait aussi un artiste parfois admirable, souvent incomplet, qu’il qualifiait de « torrent fangeux qui roulerait des parcelles d’or ».

    Michel Escatafal

     

  • Jean Bertaut (1552-1611) : un évêque précurseur

    bertaut.jpgJean Bertaut, né à Caen en 1552 où son père professait les sciences au collège du Bois,  fut secrétaire d’Henri III dont il était très apprécié et qui en fit le précepteur du comte d'Angoulême (fils naturel de Charles IX), puis d’Henri IV dont il contribua à la conversion et qui lui donna l’abbaye d’Aulnay en 1594, puis plus tard l’évêché de Séez en 1606. En tant qu’évêque de Séez, il mena le corps d’Henri IV à Saint-Denis suite à son assassinat en 1610. En outre il fut aussi premier aumônier de Marie de Médicis ce qui lui valut d'assister le 14 septembre 1606 au baptême du dauphin (Louis XIII) à Fontainebleau. Ses œuvres principales sont recueillies dans deux ouvrages, Recueil des Oeuvres poétiques (1601, et Collection des œuvres poétiques (1602).

     

    Elles se composent  de poésies sacrées et profanes, moins gracieuses peut-être, mais d’une langue plus moderne que les poésies de Desportes qui, lui-même, nous l’avons dit, surpassait déjà sur ce point les poètes de la Pléiade. Dans ses poésies, Bertaut a subi manifestement l’influence à la fois de Ronsard, à qui il doit beaucoup, et de Desportes, tout en étant le précurseur de Malherbe dans la manière, le style et le ton, et même diront certains de Lamartine. A son propos, Malherbe disait qu'il était le seul des anciens poètes qu'il estimait. Il fut d’abord un chantre des amours de la vie de cour, avant de se tourner plus tard vers des thèmes religieux et des psaumes. C'est ainsi qu'on publia en 1613, deux ans après sa mort, les Sermons sur les principales fêtes de l'année.

     

    Si je ne devais retenir que quelques vers de Bertaut, ce serait cet extrait :

    Félicité passée

    Qui ne peut revenir

     

    Tourment de ma pensée,

     Que n’ay-je en te perdant perdu le souvenir !

    Cette strophe  de la Chanson issue des Œuvres poétiques est très justement célèbre, et on la croirait toute moderne pour la langue et le sentiment. Il se peut cependant, comme il arrive souvent chez les poètes du XVI è siècle, qu’elle ne soit pas d’une inspiration originale. On a en effet retrouvé dans la littérature espagnole, et particulièrement dans la Diane de Montemayor (1520-1561), publiée en 1564 à Valence, que Bertaut devait connaître, plus d’un passage dont elle pourrait être imitée. Quand au rythme de la Chanson, qui est si heureux et qui, sans modèle en France, n’a guère été reproduit, on a cru y reconnaître un emprunt à la métrique italienne.

     

    Michel Escatafal

  • Une grande dame qui se fit remarquer par son esprit

    MlleScudery.jpg

    Née en 1607 d’une famille originaire de Sicile, morte en 1701, Madeleine de Scudéry était la sœur du poète Georges de Scudéry (1601-1667), lequel eut sur elle une influence pour le moins pesante. Ce dernier, ami puis rival de Corneille et auteur de plusieurs tragédies et tragi-comédies, avait grâce à l’assentiment de Richelieu obtenu, après avoir publié ses Observations sur le Cid, que l’Académie Française fit l’examen de cette pièce. Il y fut élu en 1650. Cependant sa notoriété devait beaucoup au nom qu’il portait, grâce à sa sœur, au point que Voltaire disait de lui que « son nom est plus connu que ses ouvrages ».

    Polyglotte (elle parlait outre le français, l’italien et l’espagnol très prisés à l’époque), Madeleine de Scudéry se fit remarquer pour son esprit à l’Hôtel de Rambouillet et, après la Fronde (1648-1653), reçut elle-même chez elle, à ses samedis, quelques uns des personnages les plus distingués de l’époque . Ses interminables romans Artamène ou le Grand Cyrus (1649-1653), Clélie, histoire romaine (1656), jouirent d’une grande réputation à l’époque où ils parurent. Pourtant cette réputation, bien réelle, était due principalement à ce qui, aux yeux de Boileau et de beaucoup d'autres, en fait surtout le défaut, à savoir que sous des noms antiques, Mademoiselle de Scudéry peint, non seulement des caractères modernes, mais des personnages réels et contemporains. C’est ainsi que Cyrus, dans le roman de ce nom, n’est autre que le grand Condé (1621-1686).

    Cela dit la société du temps prenait plaisir à se retrouver elle-même dans ces ouvrages, tandis que la postérité a été surtout frappée de ce qu’il y avait de ridicule à mettre des discours subtils et raffinés dans la bouche de ces rudes héros de l’antiquité. Par exemple, un Cyrus qui fut le véritable fondateur de l’Empire perse ( vers 559-529 av. J.C.), un Brutus (fondateur de la république à Rome et personnage légendaire au VI è siècle av. J.C.), un Horatius Coclès (défenseur du Pont Sublicius face aux Etrusques en 507 av.J.C.). Outre ses romans, Mademoiselle de Sudéry a encore laissé, entre autres ouvrages, dix volumes de Conversations morales, dont les sujets sont le plus souvent frivoles, et le style parfois médiocre, dénué de grâce et d’aisance. Mais les œuvres de Mademoiselle de Scudéry restent du moins comme un document intéressant sur la société française à l’époque de la minorité de Louis XIV.

    Pour ma part si je devais retenir quelques lignes de l’œuvre de Madeleine de Sudéry ce serait, dans Artamène ou le Grand Cyrus, le portrait de la marquise de Rambouillet (1588-1665) sous le nom de Cléomire. En voici un extrait : « Imaginez-vous la beauté même, si vous voulez concevoir celle de cette admirable personne : je ne vous dis point que vous vous figuriez quelle est celle que nos peintres donnent à Vénus, pour comprendre la sienne, car elle ne serait pas assez modeste ; ni celle de Pallas, parce qu’elle serait trop fière ; ni celle de Junon, qui ne serait pas assez charmante ; ni celle de Diane, qui serait un peu trop sauvage ; mais je vous dirai que, pour représenter Cléomire, il faudrait prendre de toutes les figures qu’on donne à ces déesses ce qu’elles ont de beau, et l’on en ferait peut-être une passable peinture. Cléomire est grande et bien faite ; tous les traits de son visage sont admirables ; la délicatesse de son teint ne se peut exprimer ; la majesté de toute sa personne est digne d’admiration, et il sort je ne sais quel éclat de ses yeux, qui imprime le respect dans l’âme de tous ceux qui la regardent…Au reste l’esprit et l’âme de cette merveilleuse personne surpassent de beaucoup sa beauté ».

    Ces lignes sont d’autant plus amusantes que Mademoiselle de Scudéry ne devait pas se marier et ce, pour deux raisons essentielles : elle était pauvre ce qui éloignait les prétendants, et surtout elle était plutôt laide. Cela explique qu’elle ait toujours songé à mériter par son esprit les hommages qui ne pouvaient lui être rendus par un physique disgracieux. Il n’empêche, même si elle ne figure pas parmi les plus grands écrivains d’une époque qui en était fertile, on trouve dans son œuvre plus d’une page remarquable sur l’éducation des femmes, leur esprit, leurs devoirs, leur rôle dans la société.

    Michel Escatafal