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Martial donna à l’épigramme le caractère d’un genre littéraire

rome,histoire,littératureAvant Martial,  l’épigramme avait été fort cultivée à Rome. Il y en a de charmantes dans le recueil de Catulle, et les grands poètes, Virgile, Ovide, s’étaient parfois divertis à ces pièces légères, les amateurs en faisant volontiers dans leurs loisirs. En général elles ne dépassaient guère huit ou dix vers, admettaient tous les mètres, et pouvaient traiter toutes sortes de sujets. En somme l’épigramme n’avait point le caractère d’un genre littéraire : c’est Martial qui le lui donna, en la faisant servir avant tout à la raillerie et en la composant de telle façon qu’elle se terminât presque toujours par une pointe.

Martial est né en Espagne (1e mars 40), à Bilbilis (aujourd’hui Calatayud), et il vint à Rome vers sa vingtième année. Peut-il se destinait-il au barreau ? Mais il avait le goût des vers et de la paresse et ses poésies, connues très tôt, lui valurent sans doute des avances flatteuses. Il s’y laissa prendre et mena dès lors une vie de solliciteur et de parasite. Mais en vain se résigna-t-il aux plus basses besognes, écrivant des devises pour les cadeaux que les grands  seigneurs s’envoient aux Saturnales, louant Domitien jusqu’à l’écœurement, au point de faire passer cet empereur pour un archange doux et timide, à la beauté sans pareille, alors que Tacite et Pline ont fait de lui le portrait le plus noir, le décrivant chauve, avec un gros ventre sur des jambes de rachitique, sans parler de Juvénal qui l’appelait le « Néron chauve ». Cela dit, malgré toutes ces flatteries, il ne put échapper à la misère, d’autant que ses ouvrages très lus, très répandus, n’enrichissaient que son éditeur.

Quant Domitien fut mort (en 96), sentant qu’il ne trouverait point d’appui en Trajan, il se lassa de son existence précaire et retourna dans a petite ville où, curieusement, la fortune après laquelle il avait tant couru l’y attendait. Quoiqu’il eût passé la cinquantaine, qu’il fût deux fois veuf, Marcella, une grande dame, l’épousa. A Rome, Martial avait souvent rêvé du repos et du bien être de la vie provinciale. Quand il put en jouir, il ne le sut pas. Pris de la nostalgie de la grande ville, il se consuma d’ennui dans a bourgade et y mourut quelques années après son retour (104). Son recueil se compose d’environ mille cinq cents épigrammes. Elles sont distribuées en douze livres, auxquels il faut ajouter un livre sur des jeux donnés par Domitien, et deux livres de petites pièces destinées à accompagner les cadeaux que ses patrons et ses amis échangeaient entre eux.

Le talent de Martial

A une époque où l’affectation et la manière régnaient dans la poésie, Martial eut un mérite rare : le naturel. Jamais il n’a songé à excéder son talent. Il se plaisait à la vie artificielle et superficielle que menait alors la société polie. Il l’a peinte avec plaisir sans avoir l’ambition de la juger, sans y songer même. Il a tout réfléchi et n’a réfléchi sur rien. Il n’a souci que de ce qui est, point de ce qui pourrait ou devrait être. Cet homme, qui fut l’ami de Juvénal, qui eut sous les yeux la même société que le satirique, n’éprouve ni indignation ni colère. Où Juvénal s’emporte en invectives, Martial aiguise des pointes.

L’un flétrit parfois des ridicules comme des vices, l’autre toujours s’amuse des vices comme des ridicules. Traduire les ridicules, c’est en effet là qu’il excelle, et si on ne lui demande rien de plus, on trouve avec lui de quoi se satisfaire. Que d’originaux amusants il a décrits avec esprit et netteté ! Dans ce monde de désœuvrés, le bavardage est devenu un besoin. En fait Martial éclaire pour nous bien des petits côtés de la vie romaine que l’histoire et la haute poésie, trop graves, ont dédaignés. En même temps il a trouvé un cadre approprié parfaitement à ses petits tableaux de genre. Ses épigrammes, d’un tour presque toujours rapide,, sont écrites dans un style qui a, avant tout, la propriété, qui se garde de la fausse élégance et n’a souci que de la précision.

Par ces mérites, Martial plaît encore aux délicats et aux érudits, qui trouvent beaucoup à apprendre dans son livre sur les mœurs et les usages de la Rome impériale, et l’intérêt qu’ils goûtent à sa lecture, les engage à passer condamnation sur le cynisme repoussant de certaines pièces, sur la platitude des louanges qu’il adresse à Domitien, sur le manque de dignité qu’il étale trop souvent en demandant l’aumône. On pourrait à la rigueur excuser tout cela en songeant que Martial ne valait ni plus ni moins que les hommes de son temps et de son milieu. Mais ce qu’on ne saurait lui pardonner c’est d’avoir, dans son livre des Spectacles, fait de l’esprit sur les supplices lents et raffinés que subissent des criminels dans l’amphithéâtre. C’est aussi d’avoir outragé sa femme dans ses vers, d’avoir maudit l’imbécillité de ses parents qui lui ont fait apprendre les belles lettres.

Si peu estimable qu’ait été sa vie, si peu recommandable que soit sa poésie, Martial n’est point un méchant homme. Il manque de générosité et de sens moral : il n’a ni principes, ni conduite, ni tenue. Mais on sent chez lui je ne sais quelle bonté facile, qui sauve son caractère de l’odieux, et qui parfois, relevée par son esprit, lui a dicté quelques vers aimables. Etait-il digne de pratiquer l’amitié ? On peut en douter, mais il en a parlé avec charme : « Un voleur adroit forcera ta cassette et t’enlèvera ton argent, une flamme sacrilège consumera tes lares paternels. Un débiteur refusera de te payer et intérêts et principal ; tes champs, devenus stériles, ne te rendront pas la moisson dont tu leur auras confié la semence…Mais tout ce qu’on donne aux amis est à l’abri des coups du sort ; ce que tu auras donné sera toujours ta seule richesse ».

On sait que la solitude l’a tué, et pourtant il a été capable de sentir et d’exprimer la douceur d’une vie simple et paisible : « Qui donc, disait-il, ira, courtisan assidu, attendre, dans un atrium glacial, le lever du patron et lui adresser humblement le salut du matin, quand il peut ouvrir devant son foyer, ses filets remplis des dépouilles de la forêt et de la plaine, détacher de la ligne tremblante le poisson frétillant, et puiser le miel vermeil dans une jarre de grès rouge ; quand la main d’une fermière replète couvre de mets sa table aux pieds inégaux et que ses œufs cuisent sous une cendre qui ne lui coûte rien » ?

Homme singulier, bien fait pour déconcerter ceux qui construisent des systèmes sur l’influence de la race et du milieu cet Espagnol, naturalisé Romain, n’a rien de la hautesse espagnole ni de la gravité romaine. Il est léger et sincère jusqu’au cynisme, mais jamais en représentation. C’est par là qu’il gagne sinon l’estime, du moins l’indulgence. Pline le Jeune, qui lui donna de l’argent pour se rapatrier à Bilbilis, connaissait bien l’homme et a apprécié le poète avec justesse, quand il écrit : « Martial, esprit fin, vif et prompt, malgré le sel et le mordant de ses vers, était pourtant plein de bonhomie ».

Michel Escatafal

 

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